Après
un départ assez laborieux, le carnaval a fini par acquérir une vitesse de croisière
honnête. Cependant, au bout de quelques années, l'usure s'est fait sentir. Il
a donc fallu choisir: ou bien arrêter, ou bien donner un second souffle à la
manifestation. Mais comment? Là réside la spécificité du carnaval de Pernes
et celle de son personnage central: Boucicaut.
Chaque
lieu porte son histoire, enracinée au plus profond de lui . De cette mémoire
collective, nous sommes tous responsables. Nous devons non seulement la connaître
mais la faire connaître pour la préserver dans tous ses aspects, les bons et
les mauvais. Nous devons aussi aussi continuer à la créer, différente, nouvelle,
certes, mais dans la continuité. A sa façon, le carnaval de Pernes s'inscrit
dans ce mouvement d'interaction entre la mémoire et le présent collectif. Nous
sommes allés chercher dans l'histoire ancienne du village, un personnage réel;
Jean Boucicaut, Maréchal de France. Il a foulé les lieux que nous arpentons
chaque jour. Il a vu le même ciel que nous; mais surtout, il signe à la fin
du XIVème siècle, un traité de "collaboration" avec la cour de Provence. Un
peu plus tard, en 1408, Boucicaut, Gouverneur de Gênes reçoit Benoît XIII qui
cherche "une pierre pour poser sa tiare"". Boucicaut lui prête 40 000F. Le pape,
en garantie, lui inféode les villes et châteaux de Pernes, Châteauneuf-Calcenier
( Châteaunef du Pape), Bédarrides et Bollène qu'il gouverne. Cette dette ne
fut pas acquittée au bout des trois ans prévus. Ce fut, alors pour le Comtat
et pour Pernes, une source d'innombrables difficultés: celles que Geoffroy,
frère héritier de Jean, puis Jean IV, fils de Geoffroy et neveu de Jean II allaient
faire subir à notre communauté.
II
y a donc des raisons, encore aujourd'hui, d'en vouloir à ces personnages historiques,
personnages de pouvoir, dont les violences sont inscrites dans notre mémoire
collective. Or, un des ressorts du carnaval est de tourner en dérision ce qui
touche à tous les pouvoirs: le pouvoir politique, le pouvoir religieux, le pouvoir
de la famille, cette multitude de pouvoirs qui chaque jour nous imposent les
contraintes nécessaires à la vie sociale mais dont il faut bien s'affranchir
de temps en temps pour mieux les supporter ensuite.
En
brocardant Boucicaut, on peut donc brocarder qui on veut en pensée et par devers
soi, sous le masque du carnaval. A Pernes comme ailleurs, il y a et il y aura
toujours des "Boucicaut". Ils avancent, masqués ou à visage découvert. Libre
à ceux qui en voient de penser qu'ils le sont. Libre à ceux qui se sentent démasqués
de réagir ou non, selon qu'ils ont ou n'ont pas le sens de l'humour. C'est ainsi.
En s'appuyant sur cet argument, le carnaval de Pernes allait prendre un nouveau
souffle.
la situation géographique
de Pernes, sa configuration urbaine, composent un décor au sein duquel, à
partir de l'événement réel enfoui dans le temps, chacun peut sans peine projeter
son imaginaire et le faire se rencontrer, avec celui des autres, créant ainsi
au sein des participants, quel que soit le degré de leur implication, une
communication réelle, voire une connivence.
A
la suite de la scène de l'anéantissement de l'effigie de Boucicaut par les flammes,
sa réapparition au sommet de la tour de l'horloge, dédramatise l'événement et
clôture la fête. Ainsi, se ferme la boucle ouverte l'année précédente et s'ouvre
celle de l'année suivante. Cet argument fonctionne depuis une dizaine d'années
sans faiblir. Depuis cinq ans, maintenant, grâce à l'énergie d'un groupe d'adultes
passionnés, le scénario s'étoffe et s'enrichit chaque année. Mais, comme pour
tous les carnavals, une dose d'incertitude plane sur le nôtre. Rien ne nous
dit que nous le ferons l'année prochaine.